vendredi 10 février 2012

1757 : Anarchie parlementaire

Le 5 janvier, vers cinq heures de l'après-midi, un inconnu bouscule les gardes du château de Versailles et se rue sur Louis XV, lui assénant un coup de couteau...
Cette année-là, la quarante-deuxième de son règne, Louis XV, quarante-sept ans, se trouvait face à une situation fort complexe. Depuis déjà un an la guerre menée contre l'Angleterre et contre la Prusse, dite guerre de Sept ans, en dépit d'un commencement victorieux en Méditerranée, entreteanait dans le royaume une mauvaise agitation des esprits.
Le conflit avec les parlements s'était aggravé d'autant plus qu'il avait fallu leur demander d'enregistrer le prolongement d'impôts temporaires pour soutenir l'effort des armées. Les querelles religieuses autour de la bulle Unigenitus resurgissaient en même temps et le courant janséniste appuyé par bon nombre de parlementaires et de "philosophes" entretenait un anticléricalisme militant. L'opinion publique, ce « monstre » en train de naître (pour reprendre l'expression de Bernard Faÿ), semblait se détacher du clergé et du roi lui-même, lequel n'avait pas auprès de lui, comme jadis Louis XIII, un Richelieu pour répondre par une gazette aux calomnies colportées. Néanmoins, le pouvoir, fin 1756, s'était montré ferme : un lit de justice avait contraint les parlementaires à voter les impôts, un autre lit de justice avait réglé la question du refus des sacrements aux mourants soupçonnés de jansénisme. Du coup, cent cinquante parlementaires s'étaient mis en grève, se posant ainsi, eux les privilégiés, comme les défenseurs du peuple que l'on condamnait à la pauvreté... Le 5 janvier 1757, profitant de la grande liberté dont jouissaient les visiteurs du château de Versailles, un inconnu déambulait depuis le matin dans la cour, faisant mine d'attendre la sortie du roi comme pour lui remettre une sollicitation écrite. Vers cinq heures de l'après-midi, quand on approcha le carrosse royal, l'homme bouscula les gardes et se rua sur le roi, lui assénant un coup de couteau, avant de s'immobiliser comme terrorisé de son propre geste.
Un avertissement ?
« Je suis blessé, dit Louis XV dont le côté saignait. C'est ce coquin ! Qu'on l'arrête et qu'on ne le tue pas ! » En fait, la lame du couteau avait été entravée par l'épaisseur des chauds habits d'hiver et la blessure était légère. Pendant que le chirurgien sondait la plaie et qu'un prêtre était appelé, l'homme, emmené dans la salle des gardes, déclara s'appeler Robert-François Damiens et être né en 1715 à La Thieuloye, près d'Arras. Selon ses dires il ne voulait pas tuer le roi, seulement lui donner un avertissement. On ne lui trouva pas de complices, mais on apprit peu à peu qu'ancien apprenti serrurier, puis laquais ou coursier chez divers conseillers du Parlement, il avait entendu dans la bouche de ces derniers des propos nettement meurtriers à l'égard du roi. De là à se croire lui-même investi d'une mission de "justice" il n'y avait plus qu'un pas.
Cependant la nouvelle se répandit très vite dans Paris et jeta la consternation. Le petit peuple versait des larmes sincères et priait dans les églises, mais la rumeur se mit bien vite à accuser pêle-mêle les Anglais, les jésuites, les jansénistes, les parlementaires, voire le clergé. Dans leur colère et leur désespoir, beaucoup réclamaient le renvoi de la marquise de Pompadour.
Une clémence impossible
Damiens écrivit une lettre au roi pour réclamer sa clémence. N'eût été l'effervescence qui, des salons, pouvait gagner la rue, Louis XV aurait seulement demandé que son agresseur fût emprisonné. Il était naturellement porté à l'indulgence, lui qui avait, à son mariage, gracié deux cents condamnés. Mais il ne put cette fois arrêter le cours de la justice et de ses procédés d'alors particulièrement cruels. Le procès s'ouvrit le 26 janvier : Damiens, qui ne put s'empêcher d'insulter ses anciens maîtres siégeant au tribunal, ne pouvait qu'être condamné, pour crime de lèse-majesté, à la mort sur le bûcher, après écartèlement de son corps par quatre forts chevaux. Tout triste, Louis XV dit peu après : « Sans ces conseillers et ces présidents, je n'aurais pas été frappé par ce monsieur... Lisez le procès : ce sont les propos de ces messieurs qu'il nomme, qui ont bouleversé sa tête... » (cité par Georges Bordonove).
« Le danger que le roi avait couru, dit Jacques Bainville, eut du moins pour effet d'inspirer la crainte d'un bouleversement en France. Il y eut de grandes manifestations de loyalisme. Les démissions furent reprises. Mais si l'ordre ne fut pas troublé, le désordre moral persista. »
En fait Louis XV ne se faisait plus aucune illusion. Il ne céda point sur le cas de Mme de Pompadour, mais il renvoya le garde des Sceaux, Machault d'Arnouville, et le rival de celui-ci, le comte d'Argenson chargé de la police. Gagné par le désenchantement, inquiet pour son salut éternel, le roi eut beaucoup de mal à trouver des ministres à la hauteur de la situation. Il attendit jusqu'en 1771 pour, avec le chancelier Maupeou, mettre un terme à l'anarchie parlementaire par une réforme qui devait sauver la monarchie bourbonienne, mais que Louis XVI ne crut pas devoir maintenir
(voir L'AF 2000 du 17 janvier 2008).
MICHEL FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 17 au 30 juillet 2008

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